Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/133

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enfin les vins les plus exquis, savourer les fruits les plus mûrs, jouir lentement des dernières fins de l’orgie, vider le reste d’un grand coup, éteindre les flambeaux, et mourir !

Comme l’eau limpide que la nymphe de marbre laisse tomber murmurante de sa conque d’albâtre, il continua ainsi longtemps de parler, de cette voix grave et voluptueuse à la fois, pleine de cette mélancolie gaie qu’on a dans les suprêmes moments, et son âme s’épanchait de ses lèvres comme l’eau limpide.

La nuit était venue, pure, amoureuse, une nuit bleue, éclairée d’étoiles ; pas un bruit, que celui de la voix de Mathurin qui parla longtemps à ses amis. Ils l’écoutaient en le contemplant. Assis sur sa couche, son œil commençait à se fermer, la flamme blanche des bougies remuait au vent, l’ombre, qu’elle rayait, tremblait sur le lambris, le vin pétillait dans les verres, et l’ivresse sur leurs figures ; assis sur le bord de la tombe, Mathurin y avait posé sa gourde, elle ne se fermera que quand il l’aura bue.

Vienne donc cette molle langueur des sens, qui enivre jusqu’à l’âme ; qu’elle le balance dans une mollesse infinie, qu’il s’endorme en rêvant de joies sans nombre, en disant aussi nunc pulsandum tellus, que les nymphes antiques jettent leurs roses embaumées sur ses draps rougis, dont il fait son linceul, et viennent danser devant lui dans une ronde gracieuse, et, pour adieu toutes les beautés que le cœur rêve, le charme des premières amours, la volupté des plus longs baisers et des plus suaves regards ; que le ciel se fasse plus étoilé et ait une nuit plus limpide ; que des clartés d’azur viennent éclairer les joies de cette agonie, fassent le vent plus frais, plus embaumant ; que des voix s’élèvent de dessus l’herbe et chantent pendant qu’il boit les dernières gouttes de la vie ; que ses yeux fermés tressaillent comme sous le plus tendre embrassement ; que tout soit, pour cet homme, bonheur jusqu’à la