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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/168

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comme j’aimais surtout la danseuse de corde, avec ses longs pendants d’oreilles qui allaient et venaient autour de sa tête, son gros collier de pierres qui battait sur sa poitrine ! avec quelle avidité inquiète je la contemplais, quand elle s’élançait jusqu’à la hauteur des lampes suspendues entre les arbres, et que sa robe, bordée de paillettes d’or, claquait en sautant et se bouffait dans l’air ! ce sont là les premières femmes que j’ai aimées. Mon esprit se tourmentait en songeant à ces cuisses de formes étranges, si bien serrées dans des pantalons roses, à ces bras souples, entourés d’anneaux qu’elles faisaient craquer sur leur dos en se renversant en arrière, quand elles touchaient jusqu’à terre avec les plumes de leur turban. La femme, que je tâchais déjà de deviner (il n’est pas d’âge où l’on n’y songe : enfant, nous palpons avec une sensualité naïve la gorge des grandes filles qui nous embrassent et qui nous tiennent dans leurs bras ; à dix ans, on rêve à l’amour ; à quinze, il vous arrive ; à soixante, on le garde encore, et si les morts songent à quelque chose dans leur tombeau, c’est à gagner sous terre la tombe qui est proche, pour soulever le suaire de la trépassée et se mêler à son sommeil) ; la femme était donc pour moi un mystère attrayant, qui troublait ma pauvre tête d’enfant. À ce que j’éprouvais, lorsqu’une de celles-ci venait à fixer ses yeux sur moi, je sentais déjà qu’il y avait quelque chose de fatal dans ce regard émouvant, qui fait fondre les volontés humaines, et j’en étais à la fois charmé et épouvanté.

À quoi rêvais-je durant les longues soirées d’études, quand je restais, le coude appuyé sur mon pupitre, à regarder la mèche du quinquet s’allonger dans la flamme et chaque goutte d’huile tomber dans le godet, pendant que mes camarades faisaient crier leurs plumes sur le papier et qu’on entendait, de temps à autre, le bruit d’un livre qu’on feuilletait ou qu’on refermait ? Je me dépêchais bien vite de faire mes devoirs, pour