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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/235

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que fait-elle, toute la journée, loin de moi ? à quoi son temps se passe-t-il ? » Qu’une femme aime un homme, qu’elle lui fasse un signe, et il tombe à ses genoux ! Mais nous, quel hasard qu’elle vienne à nous regarder, et encore !… il faut être riche, avoir des chevaux qui vous emportent, avoir une maison ornée de statues, donner des fêtes, jeter l’or, faire du bruit ; mais vivre dans la foule, sans pouvoir la dominer par le génie ou par l’argent, et demeurer aussi inconnu que le plus lâche et le plus sot de tous, quand on aspire à des amours du ciel, quand on mourrait avec joie sous le regard d’une femme aimée, j’ai connu ce supplice.

— Tu es timide, n’est-ce pas ? elles te font peur.

— Plus maintenant. Autrefois, le bruit de leurs pas seulement me faisait tressaillir, je restais devant la boutique d’un coiffeur, à regarder les belles figures de cire avec des fleurs et des diamants dans les cheveux, roses, blanches et décolletées, j’ai été amoureux de quelques-unes ; l’étalage d’un cordonnier me tenait aussi en extase : dans ces petits souliers de satin, que l’on allait emporter pour le bal du soir, je plaçais un pied nu, un pied charmant, avec des ongles fins, un pied d’albâtre vivant, tel que celui d’une princesse qui entre au bain ; les corsets suspendus devant les magasins de modes, et que le vent fait remuer, me donnaient également de bizarres envies ; j’ai offert des bouquets de fleurs à des femmes que je n’aimais pas, espérant que l’amour viendrait par là, je l’avais entendu dire ; j’ai écrit des lettres adressées n’importe à qui, pour m’attendrir avec la plume, et j’ai pleuré ; le moindre sourire d’une bouche de femme me faisait fondre le cœur en délices, et puis c’était tout ! Tant de bonheur n’était pas fait pour moi, qu’est-ce qui pouvait m’aimer ?

— Attends ! attends encore un an, six mois ! demain peut-être, espère !