Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vois bien, n’est-ce pas ? retourne-la ! essaie à l’ouvrir ! personne n’y parviendrait ; l’ouvrier qui l’a faite a été mis à mort sans qu’on sache ce qu’il est devenu, moi seule connais ce qu’il y a dedans, et moi seule peux l’en tirer… embrasse-moi, je vais te le dire.

Elle prend saint Antoine par les deux joues et l’attire à elle, il la repousse.

C’était une nuit que le roi Salomon perdait la tête, il me demandait des choses que je lui refusais ; enfin, nous conclûmes un marché, et alors il se leva de suite, sortit à pas de loup de son palais, et s’en fut dans le temple y prendre…

Elle pirouette sur ses talons.

Ah ! ah ! ah ! bel ermite ! tu ne le sauras pas ! tu ne le sauras pas !

Elle fait sonner son parasol.

Et j’ai bien d’autres choses encore, va ! j’ai des trésors enfermés dans des galeries où l’on se perd comme dans un bois, j’ai des palais d’été en treillage de roseaux, des palais d’hiver en marbre noir ; mes murailles sont couvertes de toiles peintes figurant des paysages, mes jardins ressemblent à des peintures ; j’ai des troupeaux à large toison, dont les cornes sont si larges qu’ils ne peuvent passer par les sentiers. Au milieu de lacs grands comme des mers, j’ai des îles rondes comme des pièces d’argent, couvertes de nacre, blanches comme des poissons, dont les fruits rouges brillent au soleil, et dont les rivages chargés de coquilles font de la musique au battement des flots se roulant sur leurs grèves ; la nuit, leur verdure assombrie se mire dans l’eau limpide ; cerclées d’un brouillard bleu, elles semblent suspendues. Mes cuisiniers prennent des oiseaux dans mes volières et pêchent le poisson dans mes viviers ; j’ai des artistes qui creusent mon portrait sur des pierres dures, des orfèvres qui me travaillent des bijoux, des fondeurs haletants qui coulent mes statues, des parfumeurs qui mêlent le suc des plantes à des vinaigres et battent des pâtes ; j’ai des ouvriers à l’aiguille qui perdent leurs yeux à force de travailler vite, des couturières qui coupent des étoffes toute la journée, des coiffeuses qui sont à chercher sans cesse des coiffures nouvelles, et des vernisseurs attentifs versant sur mes lambris des résines bouillantes qu’ils refroidissent avec des éventails. J’ai des suivantes de quoi faire un harem, des eunuques de quoi faire une armée ; j’ai des armées, j’ai des peuples, j’ai dans mon vestibule une garde de nains portant sur le dos des trompes d’ivoire.

J’ai des attelages de gazelles, des quadriges d’éléphants, des