Ah ! bah !
J’étais libre, j’étais pure, j’étais la fille du sang d’Uranus ; quand je parcourais les océans, les vagues frissonnaient de plaisir au contact de mes talons roses ; quand je marchais par les prairies, les fleurs aussitôt s’épanouissaient, la graine des fleurs se prenait à pousser, leur corolle à s’ouvrir, leurs parfums à se répandre. Baigneuse insaisissable, je nageais dans l’éther bleu, où ma ceinture bigarrée aux mille couleurs, que se disputaient les zéphirs, resplendissait toute large et magnifique comme un arc-en-ciel tombé de l’Olympe. J’étais la Beauté ! j’étais la Forme ! Les dieux à ma vue se pâmaient d’amour, je vibrais incessamment sur le monde engourdi, et la matière humide, se séchant sous mon regard, s’affermissait de soi-même en contours précis. Je l’avais tournée comme un potier, ciselée comme un sculpteur, coloriée comme un peintre ; j’avais fait les plages plus sonores, plus couvertes de coquilles, de solitude et de soleil ; j’avais rêvé avec lenteur des attitudes d’existence, des harmonies de ligne, et tout ce rythme secret des splendides anatomies. L’artiste, plein d’angoisses, m’invoquait dans son travail, le jeune homme dans son désir, le vieillard dans son passé, le voyageur dans ses projets et la mère de famille dans la douleur des enfantements. C’est toi, c’est toi, ô Besoin, ô jouissance immonde, qui m’as traînée dans les passions ignobles, qui m’as déshonorée !
Passe ! passe ! belle Vénus ! tu te purifieras dans mes bras !
Qu’il est vilain !