Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/526

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simon
le doigt sur la bouche.

Chut ! chut !

hélène
reprend :

À la proue de la trirème, où il y avait une tête de bélier, qui à chaque coup des vagues s’enfonçait sous l’eau, je restais immobile. Le vent soufflait, la carène fendait l’écume. Il me disait : « Que m’importe, si je trouble ma patrie, si je perds ma couronne !… Tu m’appartiendras dans ma maison. »

Ménélas en pleurs agita les îles. On partit avec des boucliers, avec des lances, avec des chevaux qui piaffaient d’effroi sur le pont des navires.

Ah ! qu’elle était douce, la chambre de son palais ! il se couchait sur la pourpre des lits d’ivoire et, jouant avec le bout de ma chevelure, il me chantait des airs d’amour.

Le soir venu, je montais sur le rempart, je voyais les deux camps, les fanaux qu’on allumait, Ulysse, sur le bord de sa tente, causant avec ses amis, Achille tout armé qui faisait courir son char le

long du rivage de la mer.

antoine.

Mais elle est folle tout à fait ! Pourquoi donc ?…

simon
le doigt sur la bouche.

Chut ! chut !

hélène.

J’étais dans une forêt, des hommes ont passé. Ils m’ont prise et, m’attachant avec des cordes, m’ont emportée sur leurs chameaux.

Ils se glissaient sur moi dans mon sommeil. Ce fut le Prince d’abord, puis les capitaines, puis les soldats, puis les valets de pied qui soignent les ânes.

Ils m’ont lavée dans la fontaine, mais mon sang qui coulait a rougi les eaux, et mes pieds poudreux ont troublé la source. Ils m’ont graissée avec des huiles, ils m’ont frottée avec des onguents, et ils m’ont vendue au peuple pour que je l’amuse.

C’était à Tyr la Syrienne, près du port, dans un carrefour étroit… Un soir, nue, debout et le cistre en main, je faisais danser