Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/618

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un dieu
tout bleu, à tête de sanglier, avec des boucles d’oreilles et tenant dans ses quatre mains un lotus, une conque, un cercle et un sceptre.

J’ai remis à flot la montagne noyée et, sur mon dos de tortue, j’ai porté le monde. De mes défenses j’ai éventré le géant. Je suis devenu lion, je suis devenu nain. J’ai été brahmane, guerrier, laboureur. Avec un soc de charrue, j’ai exterminé un monstre à mille bras, j’ai fait beaucoup de choses, des choses difficiles, prodigieuses ! Les créations passaient, moi je durais, et comme l’Océan qui reçoit tous les fleuves, sans en devenir plus gros, j’absorbais les siècles.

Qu’est-ce-donc ?… Tout chancelle… où suis-je ? qui suis-je ? Faut-il prendre ma tête de serpent ?

Il lui pousse une tête de serpent.

Ah ! plutôt la queue de poisson qui battait les flots !

Il lui pousse une queue de poisson.

Si j’avais la figure du solitaire ?

Il se change en solitaire.

Eh non ! C’est la crinière du cheval qu’il me faut !

Il lui pousse une crinière de cheval.

Hennissons ! levons le pied !… Oh ! le lion !

Il devient lion.

Oh ! mes défenses !

Il lui sort des défenses de la bouche.

Toutes mes formes tourbillonnent et s’échappent, comme si j’allais vomir la digestion de mes existences. Des âges arrivent. Je grelotte comme dans la fièvre.

Antoine ouvre la bouche pour parler. Mais arrive
un dieu
plus grand que tous les autres, magnifique, vêtu de robes étincelantes, monté sur un cygne, avec quatre figures à mentons barbus et tenant dans ses mains un collier où sont passées des sphères.

Je suis la terre ! je suis l’eau ! je suis le feu ! je suis l’air ! je