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Page:Gustave Toudouze - Péri en mer, 1905.pdf/22

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cette sorte de brutalité naturelle qui existe dans les mœurs de ces gens durs, habitués à recevoir les plus grosses émotions comme ils supportent les chocs physiques, comme ils entament les luttes féroces avec la mer, et à ne jamais mettre de préparations dans l’annonce d’un malheur.

Ce fut une consternation presque silencieuse, un morne écrasement ; de la bouche des pauvres affligés, un seul et même cri douloureux :

— Mon pauv’ petit gars !

L’enfant avait écouté cela avec une sorte de stupeur muette, sans un geste, sans un mot, sans une larme, et on put croire un instant qu’elle n’avait pas compris.

Puis, sa pensée avait travaillé toute la nuit, remuant cette douleur dans son petit cerveau malléable, dans son cœur, et elle était sortie de cette mystérieuse lutte intime, entièrement changée, devenue tout à coup sauvage, renfermée, fuyant les autres enfants, qui l’abordaient avec ces mots innocemment cruels :

— C’est-y vrai que ton frère est péri !

Sa grande distraction fut d’apprendre des chansons, des contes, des légendes, comme si elle eût espéré se créer ainsi une espèce de pays merveilleux qui la rapprochât de celui qui était parti, et où elle pût s’isoler avec lui. On la voyait constamment comme pendue aux lèvres des mendiants, des pillaouers, ces vieux marchands de