Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sans amertume, révolté et vaincu par la fatalité, cette impuissance d’aimer dont elle était frappée.

Il répétait :

— D’autres n’ont pas le don de plaire : vous, vous n’avez pas le don d’aimer…

Elle l’interrompit animée, pleine de raisons et de raisonnements :

— J’ai du moins celui d’être constante, dit-elle. Seriez-vous moins malheureux si, après vous avoir adoré pendant dix mois, j’étais éprise aujourd’hui d’un autre ?

Il s’écria :

— Est-il donc impossible à une femme de n’aimer qu’un seul homme ?

Mais elle, vivement :

— On ne peut pas aimer toujours ; on peut seulement être fidèle. Croyez-vous même que le délire exalté des sens doive durer plusieurs années ? Non, non. Quant à la plupart des femmes à passions, à caprices violents, longs ou courts, elles mettent tout simplement leur vie en romans. Les héros sont différents, les circonstances et les péripéties imprévues et changeantes, le dénouement varié. C’est amusant et distrayant pour elles, je le confesse, car les émotions du début, du milieu et de la fin se renouvellent chaque fois. Mais quand c’est fini, c’est fini… pour lui… Comprenez-vous ?

— Oui, il y a du vrai. Mais je ne vois pas où vous voulez en venir.