Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/166

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Pourquoi jugeait-il si sévèrement la conduite de Julien alors qu’il n’avait jamais même songé que la sienne pût être coupable ?

Et la baronne, tout essoufflée encore de sanglots, eut sur les lèvres une ombre de sourire au souvenir des fredaines de son mari, car elle était de cette race sentimentale, vite attendrie, et bienveillante, pour qui les aventures d’amour font partie de l’existence.

Jeanne, affaissée, les yeux ouverts devant elle, allongée sur le dos et les bras inertes, songeait douloureusement. Une parole de Rosalie lui était revenue qui lui blessait l’âme, et pénétrait comme une vrille en son cœur : « Moi, j’ai rien dit parce que je le trouvais gentil. »

Elle aussi l’avait trouvé gentil ; et c’est uniquement pour cela qu’elle s’était donnée, liée pour la vie, qu’elle avait renoncé à toute autre espérance, à tous les projets entrevus, à tout l’inconnu de demain. Elle était tombée dans ce mariage, dans ce trou sans bords pour remonter dans cette misère, dans cette tristesse, dans ce désespoir, parce que, comme Rosalie, elle l’avait trouvé gentil !

La porte s’ouvrit d’une poussée furieuse. Julien parut, l’air féroce. Il avait aperçu, dans l’escalier, Rosalie gémissant et il venait savoir, comprenant qu’on tramait quelque chose, que la bonne avait parlé sans doute. La vue du prêtre le cloua sur place.

Il demanda d’une voix tremblante, mais calme : « Quoi ? qu’y a-t-il ? » Le baron, si violent tout à l’heure, n’osait rien dire, craignant l’argument du curé et son propre exemple invoqué par son gendre. Petite