Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

eussent souffert aussi, former une sorte de chaîne mystérieuse de tendresse entre ceux-là morts autrefois, celle qui venait de disparaître à son tour, et elle-même restée encore sur la terre.

Elle se leva, abattit la tablette du secrétaire et prit dans le tiroir du bas une dizaine de petits paquets de papiers jaunes, ficelés avec ordre, et rangés côte à côte.

Elle les déposa tous sur le lit, entre les bras de la baronne, par une sorte de raffinement sentimental, et elle se mit à lire.

C’étaient ces vieilles épîtres qu’on retrouve dans les antiques secrétaires de famille, ces épîtres qui sentent un autre siècle.

La première commençait par « Ma chérie ». Une autre par « Ma belle petite-fille », puis c’étaient « Ma chère petite », — « Ma mignonne », — « Ma fille adorée », puis « Ma chère enfant », – « Ma chère Adélaïde », – « Ma chère fille », selon qu’elles s’adressaient à la fillette, à la jeune fille, et, plus tard, à la jeune femme.

Et tout cela était plein de tendresses passionnées et puériles, de mille petites choses intimes, de ces grands et simples événements du foyer, si mesquins pour les indifférents : « Père a la grippe ; la bonne Hortense s’est brûlée au doigt ; le chat « Croquerat » est mort ; on a abattu le sapin à droite de la barrière ; mère a perdu son livre de messe en revenant de l’église, elle pense qu’on le lui a volé. »

On y parlait aussi de gens inconnus à Jeanne, mais dont elle se rappelait vaguement avoir entendu prononcer le nom, autrefois, dans son enfance.