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L’ÉDUCATION MORALE.

certainement une bonté, une douceur, une générosité naturelles, mais tout cela n’est pas encore la moralité proprement dite. Celle-ci est vraiment fille de l’intelligence, qui conçoit le mieux, qui se pose à elle-même un but idéal et qui, ayant conscience d’un prcmier pouvoir de réalisation provenant de la pensée même, érige en loi, en devoir, la réalisation complète de l’idéal. Pour développer cette tendance ascendante, ce sursum continuel, l’éducation a une puissance énorme ; elle est à notre avis, selon les circonstances, ou la grande moralisatrice, ou la grande démoralisatrice.

La tendance de la vie à la plus grande intensité interne et à la plus grande expansion est, pour nous, inhérente à la vie même. C’est le ressort initial. Cette tendance devient morale, d’abord, quand la recherche de la plus grande intensité interne a lieu dans le sens des activités supérieures et psychiques ; c’est une question de bonne direction. Or, il est clair que cette bonne direction peut être produite par l’éducation, comme elle peut aussi se trouver naturellement facilitée et comme prédéterminée en partie par l’hérédité, qui fait dominer certaines tendances et certains sentiments sur les autres. La hiérarchie morale entre les sentiments se trouve alors plus aisée à établir. La tendance au maximum de vie devient encore morale, en second lieu, quand la tendance à l’expansion externe se manifeste par l’accord avec autrui, par la sympathie et l’afFection, au lieu de se manifester par la violence et la brutalité. Ici encore l’éducation et l’hérédité ont chacune un rôle considérable. L’éducation finit par mettre les autres sur le même pied que nous dans nos pensées, dans nos sentiments, par cela même dans nos volontés. L’hérédité, d’autre part, transmet les dispositions à la douceur, à la bienveillance, comme elle peut transmettre aussi les dispositions à la violence et à la brutalité.

Reste l’élément d’obligation, de devoir, cette forme attachée par nous à l’idée de la vie la plus intensive et la plus expansive. Nous avons montré que l’obligation est un pouvoir qui, ayant conscience de sa supériorité, s’oppose à ce qui lui est inférieur ou contraire, et se traduit ainsi à lui-même en devoir : je puis plus et mieux, donc je dois ; c’est un contraste, un sentiment de division avec soi-même, qui fait qu’on se pose dans sa pensée une loi supérieure à ce qu’on réalise ou voit réalisé. Cette tendance au déploiement du pouvoir maximum s’accumule de