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L’HÉRÉDITÉ ET L’ÉDUCATION.

deux manières, par l’éducation et par l’hérédité. Plus on fait, plus on veut faire ; mieux on fait, mieux on veut faire : c’est une vitesse acquise, un besoin de se dépasser sans cesse soi-même, comme l’artiste qui veut toujours faire un chef-d’œuvre supérieur à ses œuvres précédentes. Quant à la forme de loi, d’impératif, de commandement interne, qui est réellement une sorte d’impulsion et de contrainte interne, elle a les caractères instinctifs qui appartiennent à tout ce qui est héréditairement transmissible. Nous naissons de plus en plus policés par la loi interne ; l’enfant civilisé, au lieu d’être, comme le sauvage, sans loi, sans frein, est tout prêt à recevoir ce joug de la loi intérieure. L’éducation trouve en lui une sorte de légalité préétablie, de loyalisme naturel, mais elle corrobore la loi intérieure par la force énorme des habitudes acquises. L’éducation, aujourd’hui, doit donc avant tout conserver et développer ce produit supérieur de l’éducation même, la moralité. Il faut, chez les enfants, accumuler la force morale par les bonnes habitudes. Le devoir n’étant que la conscience du pouvoir supérieur, il faut avant tout donner ce pouvoir, ou au moins, la persuasion de ce pouvoir, qui elle-même tend à le produire.

Herbart a très bien vu la tendance de l’esprit humain à la « maximation », qui est, selon Kant, le caractère le plus général de la « raison pratique. » Il a compris le parti qu’il en faut tirer, le rôle qu’elle doit jouer dans l’éducation. Au cours de la vie, chacun est amené à se formuler des règles de conduite qui varient selon le genre de vie, les goûts, les préférences, les habitudes, les besoins. Le débauché comme le travailleur, le criminel comme le philanthrope, obéissent à de certaines règles constantes qui ne sont au fond que la formule théorique de leurs pratiques. Ce fait, singulier en apparence, vient, selon Herbart, de ce que l’action elle-même précède nécessairement l’analyse, la critique de l’action. La conscience morale elle-même n’existe pas de toutes pièces dans l’âme de l’enfant ; mais elle se développe au fur et à mesure que celui-ci est appelé à agir. Si donc l’on veut exercer sur les enfants une influence morale, il faut diriger leurs actions avant de leur enseigner des maximes : il faut, selon Herbart, leur laisser le soin de formuler eux-mêmes des règles de conduite conformes aux habitudes vertueuses qu’on leur aura inculquées de bonne heure. « Les hommes, s’ils n’aiment pas toujours à pratiquer leurs maximes.