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L’ÉCOLE.

ce que notre civilisation moderne offre de grand et de beau soit transmis aux générations futures.

On a voulu, de nos jours, substituer à l’État la commune, et attribuer à celle-ci le droit de diriger entièrement à son gré les écoles de son ressort. Mais on a répondu avec raison que la plupart des communes de France, même foncièrement modifiées, seraient incapables de fonder un enseignement sérieux. Dans le plus grand nombre des cas, elles livreraient l’éducation de la jeunesse soit à des novateurs intelligents, mais inexpérimentés, soit à des charlatans ; tantôt à des congrégations religieuses, tantôt à des sectes antireligieuses ; tout cela selon la mode du jour et l’entraînement du moment. Les communes qui s’en tiendraient tout simplement à la routine scolaire s’exposeraient le moins à des déceptions. La jeunesse d’un pays est son orgueil et sa richesse ; on ne saurait la livrer entre les mains de ceux qui aspirent à la prendre pour un sujet d’expérience in anima vili, ou pour un instrument de leur politique. L’État ne peut tolérer que l’avenir de toute une génération soit mis en question par les représentants d’un parti quelconque ; il doit maintenir la haute impartialité et le désintéressement des études[1].


III. La discipline morale des écoles est une question importante. Rousseau voulait qu’on laissât les enfants en présence des conséquences naturelles de leurs actions. Spencer a reproduit la même théorie sous le nom de réactions naturelles, et Tolstoï a réalisé l’expérience dans son école anarchique d’Yasnaïa. On a mainte fois critiqué, non sans raison, le principe de Spencer. Un élève léger taquine son voisin et distrait toute la classe : la réaction naturelle dans ce milieu sera un argument ad hominem. Une bagarre s’ensuivra inévitablement et l’ordre sera compromis pour toute la durée de la leçon. Si le maître intervient pour mettre le perturbateur à la raison, voilà l’autorité qui apparaît, voilà le système des réactions naturelles qui est en défaut. Supposons un élève simplement inattentif pendant une leçon. Le maître ne peut lui faire aucune observation sans porter atteinte à la doctrine des réactions naturelles. Si un élève a été inattentif un jour sans en éprouver aucun désagrément, il sera inattentif le lendemain ; il le sera

  1. Ibid.