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L’ÉDUCATION MORALE.

les jours suivants. Une mauvaise habitude est vite contractée, et la réaction naturelle ne se produira que lorsque le mal sera irréparable. Les suites de l’inattention, de la négligence habituelle pour un écolier sont l’ignorance, l’infériorité intellectuelle à l’égard de ses condisciples laborieux, enfin les difficultés de la vie résultant de cette infériorité. Mais le préjudice ne se fera sentir que longtemps après les fautes scolaires, et alors elles seront irréparables[1]. La nature excite surtout les enfants à se développer physiquement. De là leur besoin de se mouvoir sans cesse, leur aversion pour tout ce qui impose l’immobilité. Presque toutes les fautes des enfants dérivent de leur turbulence, c’est-à-dire de l’exagération dans la satisfaction d’un besoin. La fatigue est la seule réaction naturelle de l’activité surmenée. L’enfant qui a négligé ses devoirs d’écolier pour se livrer au jeu jusqu’à la lassitude ne se sentira pas puni de sa faute morale par la fatigue physique. Le repos lui rendra l’aptitude au mouvement et le désir de recommencer les exercices qui l’avaient fatigué ; mais il ne sera porté par aucune impulsion purement physique à l’étude négligée. L’esprit de l’enfant ne saurait établir aucune espèce de rapport entre l’oubli d’un devoir et la fatigue résultant de l’exercice trop violent ou trop prolongé qui a dérobé le temps destiné à ce devoir. La réaction naturelle manque son but : elle ne détourne pas du jeu et ne porte pas à l’étude[2]. La nécessité d’une règle se manifeste même pour les actes les plus instinctifs de l’enfant. La satiété lui inspire de la répugnance pour les aliments, répugnance qui peut aller jusqu’au dégoût ; voilà une réaction naturelle. Mais une sensation plus vive, une saveur qui lui plaît peut produire une autre réaction naturelle qui le porte à manger au delà du besoin. L’eau fraîche est agréable quand on est en sueur ; la réaction naturelle est une fluxion de poitrine ; faut-il l’attendre ? En définitive, l’homme abandonné aux réactions naturelles descendrait dans l’échelle animale ; il ne vivrait même pas.

Tolstoï, dans son École d’Yasnaïa Poliana, part de ce principe que toute règle à l’école est illégitime, que la liberté de l’enfant est inviolable, que le maître doit même recevoir des élèves l’indication des matières à étudier et des mé-

  1. Voir M. Chaumeil, Pédagogie psychologique.
  2. Voir les Principes de Herbart sur l’éducation, d’après M. Rœrich.