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L’ÉCOLE.

la géographie. Après avoir expliqué, disait-il, le froid et le chaud, il se perdit dans l’explication de l’hiver et de l’été. De nouveau il répéta l’explication, et, à l’aide d’une bougie et d’une sphère, il se fit comprendre parfaitement, « à ce qu’il lui semblait ». On l’écoutait avec beaucoup d’attention et d’intérêt (ce qui les intéressait le plus, c’était de savoir ce que leurs pères se refusaient à croire, et de se vanter de leur science). À la fin de son explication sur l’hiver et l’été, le sceptique Semka, le plus intelligent de tous, arrêta Tolstoï par cette demande : — « Mais comment donc la terre marche-t-elle, et notre isba est toujours à la même place ! Elle devrait se déplacer ! » Tolstoï fit cette réflexion : « Si mon explication dépasse de mille verstes la portée du plus intelligent, qu’est-ce que les obtus y doivent comprendre ? » Il reprit la question, expliqua, dessina, cita toutes les preuves de la rondeur du globe : les voyages autour du monde, l’apparition du mât avant le tillac d’un navire, elles autres preuves ; puis, se berçant de la pensée qu’on l’avait compris, il fit écrire la leçon. Tous écrivirent : — « La terre est comme une boule… » Ici la première preuve, puis la seconde. « La troisième preuve, ils l’avaient oubliée, et vinrent me la demander. On voyait que leur principal souci était de se rappeler les preuves. Non pas une fois, non pas dix fois, mais des centaines de fois je revins sur mes explications, et toujours sans succès. À un examen, tous les élèves répondraient et répondront maintenant d’une manière satisfaisante, mais je sens qu’ils ne comprennent pas, et, me rappelant que moi-même j’étais arrivé à trente ans sans comprendre, je les excuse. Comme moi dans mon enfance, eux croient maintenant sur parole que la terre est ronde, etc., et ne comprennent pas. Moi, jadis, je comprenais encore moins, car dans ma première enfance, ma niania[1] me contait qu’au bout de l’univers le ciel se rencontre avec la terre, et que là les babas, au bord de la terre, lavent leur linge dans la mer et rétendent sur le ciel. Nos élèves ont grandi et, maintenant encore, persévèrent dans les idées absolument inverses de celles que je veux leur inculquer. Il faudra encore un long temps pour effacer ces explicalions et l’image qu’ils se forment de l’univers, avant qu’ils puissent comprendre. » — À ceci nous répondrons qu’il ne faut pas se flatter d’être jamais absolument compris des enfants en ce qui concerne

  1. Bonne d’enfant.