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L’ÉDUCATION MORALE.

davantage ; seul l’enseignement philosophique, en élargissant son esprit, les lui découvrira.


II. On a appelé avec raison l’histoire « un grand cimetière » : l’historien le plus érudit est celui qui connaît le mieux le nom des morts, qui a déchiffré le plus d’épitaphes des tombeaux humains. L’histoire peut rester, pour l’esprit qui en fait son étude exclusive, stérile comme la mort même. Elle aussi vaut surtout par ce qu’elle contient de philosophique et de social.

On tend à augmenter sans cesse la place de l’histoire, comme celle des sciences, dans les études classiques. C’est là une erreur contraire à l’opinion même de nos meilleurs historiens. Quand M. Fustel de Coulanges inaugura ses leçons à la Sorbonne par une étude des institutions romaines depuis l’origine, sa séance d’ouverture fut en partie consacrée à écarter le lieu commun qui vante la haute utilité de l’histoire. « Nous étudierons l’histoire, purement pour elle-même, disait-il, et pour l’intérêt des faits que la connaissance de son développement comporte. » Quant à la prétendue utilité d’expérience dont cette connaissance serait pour les hommes d’État et les leaders politiques, M. Fustel de Coulanges déclarait en faire bon marché. « Un homme d’État qui connaîtra bien les besoins, les idées et les intérêts de son temps, n’aura rien à envier à une érudition historique plus complète et plus profonde que la sienne, quelle qu’elle soit. Cette connaissance lui vaudra mieux que les leçons trop préconisées de l’histoire. » L’histoire, selon M. Fustel de Coulanges, peut même égarer, si on ne tient pas assez compte de la différence des temps. « Je ne demande point, dit M. Lavisse, que le monde soit gouverné par des historiens. Il y a entre la politique et l’histoire des différences essentielles, en ce pays surtout où ne subsiste aucune force historique léguée par le passé et dont il faille étudier la puissance pour la ménager. Le politique peut se passer d’être un érudit en histoire, ajoute à son tour M. Lavisse : il suffit qu’il connaisse les idées, les passions, les intérêts qui sont les mobiles des opinions et des actes dans la France contemporaine. Même, j’imagine qu’un véritable historien serait un homme d’État médiocre, parce que le respect des ruines l’empêcherait de se résigner aux sacrifices nécessaires. » Il ne faudrait pas, en effet, confier