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L’ÉDUCATION MORALE.

elles-mêmes et n’ont qu’elles-mêmes pour fin…, ne sont pas des vertus, mais des vices. » (Cité de Dieu, XIX, 25.) Lactance va plus loin : dans l’hypothèse où la vertu ne serait pas récompensée après la mort et n’aurait pas en perspective une jouissance plus considérable que celle dont elle nous prive, ce serait une absurdité, une folie, un mal contraire à la nature : « Si la vertu, dit-il, nous frustre de la jouissance des sens que nous recherchons naturellement, et qu’elle nous porte à souffrir les maux pour lesquels nous avons nous-mêmes de l’aversion, la vertu est un mal contraire à la nature, et il faut avouer que c’est une folie que de la suivre, puisqu’en la suivant on se prive des biens présents, et qu’on endure les maux sans espérer aucune compensation. En effet, n’est-ce pas avoir perdu tout sentiment que de renoncer aux plus charmantes voluptés, pour vivre dans la bassesse, dans la pauvreté, dans le mépris et dans la honte, ou plutôt pour ne pas vivre, mais pour gémir, pour être tourmenté et pour mourir ! N’est-ce pas être stupide et aveugle que de se jeter dans des maux dont on ne tire aucun bien qui puisse compenser la perte du plaisir dont on se prive ! Que si la vertu n’est pas un mal, si elle agit convenablement quand elle méprise les voluptés criminelles et infâmes, quand, pour s’acquitter de son devoir, elle n’appréhende ni la douleur ni la mort, il faut donc nécessairement qu’elle obtienne quelque bien plus considérable que ceux qu’elle rejette. » (Institut. div., l. VII. ch. XI, xii). « La vertu est pour nous une nécessité, dit enfin Tertullien. Oui, une nécessité ! La vertu est une chose que nous tenons de Dieu même… Qu’est-ce que la sagesse de l’homme pour faire connaître le vrai bien ? Qu’est-ce que son autorité pour le faire pratiquer ?… Pour nous qui devons être jugés par un Dieu qui voit tout, et qui savons que ses châtiments sont éternels, nous sommes les seuls qui puissions véritablement aimer et embrasser la vertu… Je veux que nos dogmes ne soient que faussetés et préjugés, ils n’en sont pas moins nécessaires… : ceux qui les croient se trouvent forcés de devenir meilleurs, tant par la crainte d’un supplice que par l’espérance d’une félicité éternelle. » (Apologétique, ch. XLV et XLIX). Ainsi, selon le stoïcisme, la vertu avait en elle-même son principe et sa fin ; elle était commandée par la