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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

conscience, elle était sanctionnée par la conscience. Selon le christianisme, la vertu a au dehors d’elle-même son principe et sa fin ; elle nous est commandée par Dieu, elle est sanctionnée par Dieu. De là, en morale, une première opposition entre les philosophes stoïciens et les chrétiens : ceux-ci rejetaient cette vertu stoïque qui ne veut reposer que sur elle-même, ceux-là cette vertu religieuse qui repose sur l’amour de Dieu, l’espérance de sa possession et la crainte de ses châtiments ; au fond de la première, on prétendait trouver l’orgueil ; au fond de la seconde, l’intérêt.

Selon les philosophes anciens qui admettaient l’immortalité, l’âme seule était immortelle et se dégageait de son corps comme d’un fardeau ; selon les chrétiens, le corps aussi devait ressusciter et participer à la vie éternelle : immortalité de la chair que les philosophes ne voulaient point admettre. De plus, les philosophes rejetaient l’éternité des peines. La durée des peines donnait lieu à de nombreuses controverses entre les chrétiens et les païens. « Le châtiment ne peut pas être éternel, dit le néo-platonicien Olympiodore, corrigeant Platon dans son commentaire de Gorgias : « Mieux vaudrait dire en effet que l’âme est périssable. Un châtiment éternel suppose une éternelle méchanceté : alors quel en est le but ? il n’en a point ; il est inutile, et Dieu et la nature ne font rien en vain. » D’autre part, les platoniciens et les stoïciens croyaient impossible que la méchanceté même fût élernelle : — Si tu ne peux corriger les méchants, dit quelque part Épictète, ne les accuse pas, car toute méchanceté est corrigible ; mais plutôt accuse-toi, toi qui ne trouves pas en toi-même assez d’éloquence et de persévérance pour les amener au bien. — Toutes ces doctrines, pénétrant jusque dans le christianisme même, donnèrent lieu aux grandes hérésies telles que celle d’Origène.

Outre ces divergences au sujet de l’homme et de sa destinée, l’historien en remarquera de plus considérables encore dans la conception générale du monde et de la providence régulatrice. Les stoïciens n’admettaient pas moins que les chrétiens l’action de la Divinité sur le monde, leur panthéisme tendait même à identifier Dieu et la nature ; mais, selon eux, cette action s’exerçait d’après des lois inflexibles et nécessaires : les phénomènes