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SUGGESTION PSYCHOLOGIQUE, MORALE ET SOCIALE.

sociales les plus graves. Il y a une autorité et une puissance naturelle dans le ton, puissance que rend ainsi sensible l’observation des hypnotisables, auxquels les enfants ressemblent sous tant de rapports. M. Delbœuf, s’adressant à une personne hypnotisable pendant qu’elle n’est pas hypnotisée, peut, nous dit-il, selon le ton de sa voix, ou bien lui faire voir noire la barbe qu’il a blanche, ou bien ne lui faire accepter la chose qu’à moitié : — « Pas tout à fait noire, monsieur, il y a bien des poils blancs ». — ou bien ne lui rien persuader du tout. Il y a des nuances infinies dans le ton de la voix : les hypnotisables, étant particulièrement sensibles, les interprètent plus rapidement que les autres, mais leurs actes ne sont que la traduction et le grossissement d’impressions réelles ressenties par tous. La suggestion par imitation et par sympathie nerveuse augmente lorsqu’au ton de la voix on peut ajouter le geste et enfin l’action même. MM. Binet et Féré remarquent qu’on obtient d’un sujet une contraction dynamométrique beaucoup moins intense si on lui dit simplement : « Serre de toutes tes forces », que si on lui dit : « Fais comme moi », et qu’on se mette à serrer soi-même. Les commandements de Dieu sont de véritables suggestions faites à l’oreille de tout un peuple, d’autant plus puissantes qu’elles s’appuyaient sur l’autorité d’un être surhumain, et que ces paroles semblaient résonner dans les voix mêmes du ciel. Toute impulsion forte, chez un être conscient, devient une sorte de parole intérieure, disant au dedans : fais, ne fais pas ; avance, recule. Elle prend donc la forme d’une suggestion précise, qui emprunte à sa précision même son autorité et devient, si elle est assez énergique, ce commandement : il faut faire ceci, il ne faut pas faire cela.

Le mot est, chez l’homme, le produit naturel et nécessaire de l’évolution intellectuelle, marquée par une certaine netteté dans les états de conscience : le mot est un degré de l’idée et du sentiment, il n’en est pas séparé. Aussi tout mot (surtout dans les langues concrètes et bornées des peuples primitifs) éveille-t-il aussitôt avec force l’idée ou le sentiment correspondant. D’autre part, comme c’est une loi psychologique que toute image occupant vivement la conscience tend à s’achever par l’action, le mot est une action qui commence. Tous les mots d’une langue, surtout d’une langue primitive, sont des possibles luttant entre eux pour leur réalisa-