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L’ÉDUCATION MORALE.

tion, des suggestions se neutralisant. Lorsqu’une personne munie à nos yeux d’une autorité quelconque prononce un mot à nos oreilles, nous formule un précepte, elle complète et fait aboutir une suggestion latente que nous portions en nous-mêmes, elle donne une force nouvelle à une impulsion préexistante. L’impulsion interne du pouvoir cherchant à se manifester et l’impulsion externe de la parole sont deux forces de même nature, qui ne font que s’ajouter dans la suggestion morale, dans le commandement, hypnotique ou non. Le mot n’agit d’ailleurs que comme symbole de l’acte de la volonté ou de la réaction de la sensibilité qu’il exprime et commande. Il n’a pas de valeur propre. Un hypnotisé à qui on avait suggéré de voler une cuiller avance la main vers une montre qu’il voit sur la table ; c’était l’idée morale du vol plutôt que le nom de l’objet à voler qui s’était imprimée dans son esprit. Un autre, à qui le docteur Bernheim avait suggéré qu’il sentirait à son réveil une très forte odeur d’eau de Cologne, crut sentir en effet une odeur forte, mais c’était une odeur de vinaigre brûlé. Les mots ne valent donc pour l’hypnotisé que comme définitions du caractère moral ou sensitif des actions ou réactions ; c’est ce caractère qui lui importe, et l’objet extérieur de ces actions ou réactions lui importe peu.

La croyance, avons-nous dit, joue un rôle capital dans toute suggestion ; les suggestions qui portent sur la sensibilité, et particulièrement sur les images visuelles, permettent d’apprécier la force de la croyance d’après l’intensité de l’image produite. Le simple fait de ne pas croire à une chose quelconque affaiblit la représentation qu’on en a. Le doute portant sur une image suggérée empêche l’hallucination complète de se produire. M. Binet dit un jour à un sujet endormi : regardez le chien qui est assis sur ce tapis. Le sujet vit aussitôt le chien ; seulement, comme il lui paraissait bien étrange qu’un chien fût entré si brusquement dans le laboratoire, l’image ne réussit pas à s’objectiver : « Vous voulez m’halluciner. — Vous ne le voyez donc pas, ce chien ? — Si, je le vois dans mon imagination, mais je sais bien qu’il n’y en a pas sur le tapis. » Un autre malade s’étant permis un jour de discuter une suggestion du docteur Binet, ce dernier lui imposa silence ; le sujet répondit aussitôt : — Je sais bien pourquoi vous ne voulez pas que je discute, c’est que cela affaiblit la suggestion. — Une tournure dubitative, « si vous faisiez