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LA SUGGESTION COMME MODIFICATEUR DE L’HÉRÉDITÉ.

Tout ce que l’enfant va sentir sera donc une suggestion ; cette suggestion donnera lieu à une habitude, qui pourra parfois se propager pendant la vie entière, comme on voit se perpétuer certaines impressions de terreur inculquées aux enfants par les nourrices. La suggestion, nous l’avons dit, est l’introduction en nous d’une croyance pratique qui se réalise elle-même ; l’art moral de la suggestion peut donc se définir : l’art de modifier un individu en lui persuadant qu’il est ou peut être autre qu’il n’est. Cet art est un des grands ressorts de l’éducation. Toute l’éducation môme doit tendre à ce but : convaincre l’enfant qu’il est capable du bien et incapable du mal, afin de lui donner en fait cette puissance et cette impuissance ; lui persuader qu’il a une volonté forte, afin de lui communiquer la force de la volonté ; lui faire croire qu’il est moralement libre, maître de soi, afin que « l’idée de liberté morale » tende à se réaliser elle-même progressivement. La servitude morale, « l’aboulie » comme on l’appelle, se ramène, soit à une inconscience partielle, à une irréflexion qui fait que l’agent s’abandonne tour à tour sans lutte et sans comparaison à des impulsions opposées ; soit à la croyance qu’il ne pourra pas résister, qu’il est impuissant, qu’en d’autres termes sa conscience est sans action sur les idées et les penchants qui la traversent. Nier le pouvoir répresseur de sa propre

    nière, tombe à l’eau, et sous rinfluence de ce choc moral qui réveille chez lui une série de rèves et de craintes imaginaires antérieures, il organise tout un drame dans son esprit et accuse un individu de l’avoir jeté à l’eau. Dans un autre cas, ce sont de simples hallucinations hypnagogiques qui deviennent le point de départ d’une accusation d’attentat à la pudeur. Enfin un interrogatoire accusateur fait d’un ton énergique paraît suffisant, dans d’autres circonstances, pour déterminer chez un enfant un travail d’assimilation inconscient, en vertu duquel il va se déclarer lui-même coupable d’un crime qu’il n’a pas commis ou témoigner de faits qu’il n’a jamais vus. Dans tous ces cas, on reconnaît l’effet de la suggestion ou de l’auto-suggestion, qui, sur le cerveau malléable et en voie d’organisation de l’enfant, ont une influence exagérée. Tandis que, chez l’adulte, ce sont les détails contradictoires, les récits variés, qui prouvent qu’il y a faux témoignage voulu et que les magistrats attendent, dans leurs interrogatoires, le moment où le témoin se coupera, au contraire l’invariabilité automatique de la déposition d’un enfant devra en faire soupçonner la véracité. « Quand le médecin expert, conclut M. Motet, après plusieurs visites, retrouve les mêmes termes, les mêmes détails, lorsqu’il suffit de la mise en train pour entendre se dérouler dans leur immuable succession les faits les plus graves, il peut être sûr que l’enfant ne dit pas la vérité et qu’il substitue, à son insu, des données acquises à la manifestation sincère d’événements auxquels il aurait pu prendre part. »