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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

être possible, demande toujours que les sensations les plus hétérogènes soient reliées entre elles par d’autres qui le sont moins.

La distinction du passé et du présent est tellement relative, que toute image lointaine donnée par la mémoire, lorsqu’on la fixe par l’attention, ne tarde par à se rapprocher, à apparaître comme récente : elle prend sa place dans le présent. Je suis un petit chemin que je n’avais pas suivi depuis deux ans ; le chemin serpente sous les oliviers, aux flancs d’une montagne, avec la mer dans le fond. A mesure que j’avance, je reconnais tout ce que je vois ; chaque arbre, chaque rocher, chaque maisonnette me dit quelque chose ; ce grand pic là-bas me rappelle des pensées oubliées ; en moi s’élève tout un bruit confus de voix qui me chantent le passé déjà lointain. Mais ce passé est-il donc aussi lointain que je le crois ? Ce long espace de deux ans, si rempli d’événements de toute sorte et qui s’interposait entre mes souvenirs et mes sensations, je le sens qui se raccourcit à vue d’œil. Il me semble que tout cela, c’était hier ou avant-hier ; je suis porté à dire : l’autre jour. Pourquoi, si ce n’est parce que le sentiment du passé nous est donné par l’effacement des souvenirs ? Or, tous mes souvenirs, en s’éveillant sous l’in-