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LE PROGRÈS DANS L’HUMANITÉ

Avec la connaissance des métaux et surtout du fer commence l’industrie humaine. « On nouait les vêtements, dit Lucrèce, avant d’en faire des tissus ; l’art du tisserand suivit la découverte du fer : c’était avec le fer seul qu’on pouvait se procurer des instruments aussi délicats que la marche, le fuseau, la navette, la lame[1]. » Et Lucrèce observe que ce furent sans doute les hommes, non les femmes, qui découvrirent ces instruments et s’en servirent les premiers, « car ils sont beaucoup plus industrieux et l’emportent de beaucoup dans les arts[2]. » Ensuite ils abandonnèrent aux femmes ces travaux qui n’exigeaient pas grande force pour se reporter vers des labeurs plus rudes. Lange, dans son Histoire du matérialisme, trouve cette pensée d’une remarquable finesse, et il ajoute : « Aujourd’hui que le travail des femmes s’introduit pas à pas, quelquefois brusquement, dans les carrières ouvertes et longtemps exploitées par les hommes seuls, cette pensée nous semble bien plus naturelle qu’elle ne pouvait le paraître aux époques d’Epicure et de Lucrèce, où ne se produisaient pas encore de semblables révolutions dans des branches entières d’industrie[3]. » À vrai dire, l’hypothèse de Lucrèce est plus contestable que ne le croit Lange : car l’infériorité de la femme sur l’homme dans les travaux industriels, surtout dans ceux qui exigent l’adresse, n’est pas plus démontrée de nos jours que dans l’antiquité.

En même temps que l’art du tissage, l’homme apprenait par une suite de « tâtonnements » l’art de cultiver la terre, de planter, de greffer. Peu à peu les fruits sauvages ou les glands, les simples couches de feuilles, les vêtements de peaux de bête, tombèrent dans le mépris. « Cependant, dit Lucrèce, je ne doute pas que l’inventeur de ce vêtement grossier n’ait été autrefois l’objet de la jalousie générale, que les autres hommes ne l’aient fait périr en trahison et n’aient partagé entre eux sa dépouille sanglante sans en jouir eux-mêmes… Mais une nouvelle découverte fait tort aux anciennes et change entièrement nos goûts. »

Aux arts purement industriels vinrent s’ajouter les

  1. Lucr., 1348.
  2. Ibid., I332.
  3. Hist. du mat., trad. franç., t. I, p. 146.