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ÉPICURE

beaux-arts ; ils commencèrent par n’être qu’un simple divertissement, une expansion joyeuse qui suivait les repas, surtout dans la belle saison ; plus tard, ils devaient devenir l’une des branches les plus importantes de l’activité humaine. On sait comment Lucrèce explique la naissance de la musique par l’imitation du chant des oiseaux ; la poésie même, suivant lui, cette musique des mots, se rapporte à la même origine. « Ainsi, dit-il, le temps amène au jour peu à peu toutes les découvertes, et la raison humaine les met en pleine lumière[1]. »

Enfin l’homme, se civilisant de plus en plus, apprit à bâtir des villes et des forteresses ; la terre se divisa entre ses habitants ; la mer même se couvrit de voiles. Les nations se lièrent par des pactes analogues à ceux qui avaient lié autrefois les individus. Les poètes, par leurs chants, transmirent les événements à la postérité. Puis l’écriture fut inventée, qui servit à fixer la mémoire des hommes. Quant aux temps primitifs qui avaient précédé cette époque de civilisation relative, on en perdit peu à peu toute trace ; et c’est par le raisonnement seul qu‘on peut reconstruire l’histoire de ces âges oubliés.

La conclusion de Lucrèce, après cette esquisse de l’histoire humaine, est vraiment magistrale ; il dégage l’idée de progrès des faits qu’il vient d’exposer, et c’est sur l’affirmation du progrès qu’il termine le livre v[2]. « La navigation, l’agriculture, l’architecture, la jurisprudence, l’art de forger les armes, de construire les chemins, de tisser les étoffes, toutes les autres inventions de ce genre ; les arts mêmes qui font l’agrément de la vie, comme la poésie, la peinture, la sculpture, sont nés du besoin en même temps que

  1. Lucr., loc. cit. Lucrèce répète par trois fois cette pensée.
  2. Lucr., V, 1455.

    Navigia, atque agri culturas, mœnia, leges,
    Arma, vias, vestes, et cætera de genere horum
    Præmia, delicias quoque vitæ funditus omnes,
    Carmina, picturas, et dædala signa polire,
    Usus et impigræ simul experientia mentis
    Paulatim docuit pedetentim progredientes.
    Sic uuum quidquid paulatim protrahit ætas
    In medium, ratioque in luminis eruit oras.
    Namque alid ex alio clarescere corde videmus
    Artibus, ad summum donec venere cacumen.