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LES SUCCESSEURS MODERNES D’ÉPICURE

fort des atomes, il ne veut pas entendre parler de toutes ces rêveries ; mais quand il s’agit du principe même de la morale épicurienne, son langage change : « Toutes les opinions du monde en sont là, dit-il, que le plaisir est notre but..... Quoi qu’ils disent, en la vertu même, le dernier but de notre visée, c’est la volupté. Il me plaît de battre leurs oreilles de ce mot qui leur est si fort à contre-cœur[1]. » Ce n’est pas sans raison que Pascal opposera Montaigne à Epictète, comme on avait opposé jadis Epicure à Zénon. Sans doute Montaigne n’a pas de système bien défini, ou, s’il en a, il ne s’échappe que rarement à le formuler, mais il le fera formuler par ses lecteurs, — ce qui revient toujours au même[2].

Quelques années après la mort de Montaigne, l’épicurisme eut son martyr dans Vanini. Vanini, en effet, eut la langue coupée et fut brûlé à Toulouse bien plus pour ses idées morales et religieuses, où il s’est inspiré d’Epicure et de Lucrèce, que pour ses idées métaphysiques empruntées au péripatétisme.

Enfin, vers la même époque, l’érudition d’un Gassendi devait reconstruire complètement et sans alliage la doctrine épicurienne. Gassendi, versé dans l’histoire et dans la philologie, chercha quelle était la docrine antique qu’il pouvait opposer avec le plus de force à celle d’Aristote, seule maîtresse encore dans les écoles, et la doctrine d’Epicure lui sembla la plus conforme à son propre esprit en même temps qu’à l’esprit moderne. Aussi dès 1624, c’est-à-dire cinq ans après la mort de Vanini, il écrivit un important ouvrage intitulé : Exercitationes paradoxicæ adversus Aristoteleos, dans lequel il exposait déjà la morale d’Epicure. « D’un seul mot, était-il dit dans la préface, l’auteur fait comprendre l’opinion d’Epicure sur le plaisir : il nous montre en effet comment le bien suprême se trouve dans la vo-

  1. Essais, I, 19.
  2. Un des contemporains de Montaigne, Cardan, professait une sorte d’épicurisme retourné : sa doctrine conduisait à l’ascétisme par un raffinement de volupté ; il soutenait en effet que, le plaisir naissant par contraste avec la douleur, on doit rechercher le plus possible peines et souffrances, afin d’obtenir dans leur cessation une plus grande somme de plaisirs. Il avait, prétendait-il, toujours conformé sa vie à ce précepte, et il s’en était fort bien trouvé. De subtilit., 1. XIII ; De vit. propr.