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HOBBES

forme originale par Hobbes, l’ami et presque le disciple de Gassendi. Le système de Hobbes, quoique bien connu, mérite une rapide analyse.

Une des tendances caractéristiques de la doctrine épicurienne, c’est la tendance à la paix. Pour jouir, en effet, il faut d’abord posséder ; pour posséder, il faut acquérir et conserver ; or, on ne peut guère acquérir, et encore moins conserver, que dans l’état de paix et dans la sécurité. Aussi nous avons vu Epicure et nous verrons Hobbes parler sans cesse de la paix comme du plus grand des biens, parce qu’il est la première condition de tous les autres.

Seulement il y a sur ce point, entre Epicure et Hobbes, un grave désaccord, qui se traduira par une divergence plus grave encore dans le développement d’abord parallèle des deux systèmes. Epicure en tend avant tout par la paix la sérénité de l’âme, et il ramène cette paix intérieure à l’indépendance absolue, à la liberté complètement indifférente ; cette sécurité dans la liberté étant au fond toute spirituelle, il ne faut pour l’obtenir que des moyens spirituels aussi : il suffit de se détacher des choses par la volonté indifférente et de se retirer en soi. — Hobbes, au contraire, prend le mot de paix dans un sens tout matériel et tout extérieur : être en paix, c’est simplement, à ses yeux, n’avoir rien à craindre des autres hommes, c’est acquérir sans rivaux, c’est conserver sans envieux : tout le bonheur est là. Or, les moyens de cette paix matérielle devront être matériels aussi : à quoi servirait la liberté intérieure dont parlait Epicure pour établir l’équilibre entre des forces physiques ennemies ? Il faut que cette prétendue liberté devienne elle-même une force, se revêtisse de chair, entre dans le domaine des luttes physiques ; elle ne peut plus acquérir la paix qu’en la conquérant les armes à la main. Le seul moyen, d’abord pour terminer cette guerre à son profit, puis pour empêcher qu’elle ne recommence, la seule arme et la seule garantie de celui qui veut obtenir le bien-être, ce sera la puissance matérielle. La puissance, comme moyen de la paix ; la paix, comme moyen de la jouissance : voilà la morale de Hobbes tout entière. Hobbes admet une nécessité aussi déterminée que la liberté d’Epicure est indeterminée. En nous et autour de nous, il place un mécanisme dont le régulier fonctionnement assure seul notre sécurité, et