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SPINOZA

que. Pour un sourd elle n’est ni bonne ni mauvaise... Le bien et le mal ne marquent rien de positif dans les choses considérées en elles-mêmes. »

Ainsi, quand nous disons qu’une chose est imparfaite, nous la comparons avec ce qu’elle pourrait être selon nous ; mais le possible n’est qu’une façon de penser ; car en fait tout est nécessaire. De même quand nous disons qu’une chose est mauvaise, nous la comparons avec ce qu’elle devrait être selon nous, c’est-à-dire tout simplement avec ce que nous désirerions qu’elle fut ; nous faisons de nos désirs comme de nos pensées la mesure des choses, et nous créons la chimère d’un ordre moral absolu qui dépasserait l’ordre relatif de la physique et de la logique. Non, c’est la morale qui est relative, et la nature qui est absolue. Tel est, dans toute sa rigueur, le principe métaphysique, plus ou moins caché, de tous les systèmes épicuriens et utilitaires : Spinoza le met en évidence avec une logique inflexible.

Puisqu’il n’y a pas de bien absolu, qu’est-ce que le bien relatif ? — Spinoza répond comme Hobbes et Epicure : « J’entendrai par bien ce que nous savons certainement nous être utile[1]. » L’utile, à son tour, c’est ce qui produit de la joie, et la joie est causée par la satisfaction du désir : c’est encore la définition épicurienne. Seulement Spinoza y ajoute un complément métaphysique : Le désir est la tendance de l’être à persévérer dans son être. Ce désir est le fond de l’amour de soi, tel que Hobbes et La Rochefoucauld l’ont décrit. « Personne ne s’efforce de conserver son être à cause d’une autre chose que soi-même[2]. »

Le bien, pour un être, c’est de réussir dans cette tendance à se conserver et à satisfaire sa nature ; le bien est donc le succès, qui lui-même se réduit à la puissance ; et c’est cette puissance que nous appelons vertu : « Vertu et puissance, à mes yeux, c’est tout un[3]. »

Mais celui-là peut satisfaire le désir fondamental de conservation, qui sait les meilleurs moyens de le satisfaire ; pouvoir, pour un être raisonnable comme l’homme, c’est savoir. La vraie puissance est donc dans la raison, sans laquelle nous ne pourrions calculer avec certitude

  1. Ethique, IV, Défin., i.
  2. IV, Propos., xxv.
  3. IV, Défin., vii.