appréciait Helvétius, l’utilitaire français : « Le livre De l’esprit, dit Bentham, fut une importante acquisition pour la science de la morale et de la législation ; mais il serait bien difficile de donner dans quelques pages une idée exacte de tout ce que cet ouvrage a fait, et de tout ce qu’il a laissé à faire. En effet, tantôt vous le voyez briller comme le soleil dans sa splendeur, versant des flots de lumière et de vérité sur tout le domaine de la pensée et de l’action ; puis tout-à-coup la lumière est voilée… Ce sont des éclairs d’éloquence qui illuminent pour un instant d’une clarté trop vive, et que l’œil ébloui échangerait volontiers contre la lumière régulière et paisible d’une lampe ordinaire[1]. »
Négligeant à dessein certains côtés des livres d’Helvétius qui donneraient à la critique une trop facile prise[2], cherchons à comprendre cet auteur dans son
- ↑ Déontologie, I, 353. — La lampe ordinaire représente assez bien le style et parfois la pensée de Bentham ; mais c’est beaucoup dire que de parler des éclairs d’Helvétius et de ses flots de lumière.
- ↑ Une idée fixe semble avoir fatigué Helvétius pendant toute
sa vie : il voulait se faire un nom, acquérir la réputation, la
gloire, et, si c’était possible, l’immortalité. Il chercha d’abord,
paraît-il, à briller dans l’escrime et la danse ; ses panégyristes disent même
qu’il dansa, masqué, à l’opéra et y fut très-applaudi. De danseur, il
devint poëte ; mais « la poésie était passée de mode » (Collé,
Journ. hist.) ; aussi la laissa-t-il bientôt de côté.
Il songea un instant aux
mathématiques ; enfin il se décida pour la philosophie, « qui donnait
seule alors », disait-il, « la grande célébrité. » Pour recueillir les
matériaux de son ouvrage, il faisait « la chasse aux idées, » interrogeant
chacun, parlant peu lui-même, mais écoutant beaucoup. « Il suait,
dit Morellet, pour faire un chapitre, et il y en a tel morceau qu’il a
recomposé vingt fois. » — Sur la fin de sa vie, découragé de la
philosophie, mais toujours poursuivi par le désir de la gloire, il revint à
la poésie. « Il ne manqua à Helvétius que le génie, ce démon qui
tourmente ; on ne peut écrire pour l’immortalité quand on n’en est
pas possédé. » (Grimm, Corresp. litt., janv. 1772). Le goût
d’Helvétius pour la philosophie était lui-même un goût utilitaire.
À l’époque où Helvétius commença à écrire, Montesquieu venait de publier son Esprit des lois ; obtenir une place, sinon au-dessus, du moins à côté de ce grand homme, telle fut l’ambition d’Helvétius. Il voulut recommencer l’Esprit des lois et le dépasser, en lui donnant une portée plus générale ; au lieu de considérer l’esprit des lois, il entreprit de considérer l’esprit proprement dit. Cherchant la généralité dans le vague plutôt que dans l’ampleur de la pensée, il se contenta de ce sujet et de ce titre : De l’esprit. — « Titre louche, » disait Vol-