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VOLNEY

l’homme qui les pratique par le droit de réciprocité qu’elles donnent sur ceux à qui elles ont profité[1]. » À ce droit de réciprocité la sympathie mutuelle s’ajoute pour fonder la société : la sympathie n’est autre chose que le « reflet » en nous des sensations d’autrui : « De là naissent des sensations simultanées de plaisir ou de douleur qui sont un charme et un lien indissoluble de la société. »

Un principe important admis par Volney aurait pu peut-être introduire une vraie révolution dans sa morale trop terre à terre. Suivant lui la conservation de l’être, loi sur laquelle repose la morale, implique le perfectionnement de l’être, le progrès perpétuel ; au contraire, la dégradation est une diminution de l’être, un commencement de destruction. En approfondissant cette conception, Volney aurait pu en venir à placer l’idéal moral dans l’état le plus élevé de l’être, dans une sorte de noblesse supérieure aux intérêts mesquins et capable de regarder la vie de haut.

En somme l’utilitarisme épicurien, au commencement et à la fin de son développement en France, revêt des formes précises et méthodiques ; il rejette tout autre principe que l’intérêt bien entendu, toute autre règle impérative que la force des lois ou la force des choses ; il se pose seul, avec toutes ses conséquences et rien de plus ; il espère se suffire à soi-même.

V. — Nous avons passé rapidement en revue la plupart des écrivains importants qui se sont montré en France, au xviiie siècle, partisans déclarés des doctrines utilitaires et épicuriennes[2]. Mais, on peut le dire, ce ne sont pas seulement ces quelques penseurs, ces quelques hommes entraînés par le même courant d’idées, qui se firent les apôtres de l’utilité ; tout le xviiie siècle, excepté Rousseau et Turgot, était porté par d’invincibles préférences vers ce nouveau principe de la morale. Il est même curieux de voir sur ce point l’accord

  1. Loi, nat., ch. XII.
  2. Nous laissons de côté Diderot, nature enthousiaste et changeante, plutôt idéaliste qu’utilitaire et stoïcien qu’épicurien, tantôt athée, tantôt religieux à la façon de Spinoza ; enfin, défenseur passionné de Sénèque : il soutient tour à tour plus d’un paradoxe et plus d’une grande idée, mais il n’a pas en morale de système un et bien lié.