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LE PLAISIR, FIN DE LA VIE

phie, c’est la prudence (φρόνησις), d’où naissent toutes les autres vertus[1]», c’est la « raison tempérante » (νήφων λογισμός), en d’autres termes c’est l’art de la conduite, l’art de la direction spirituelle et matérielle. Ainsi la philosophie emprunte son prix à la sagesse pratique, qu’elle se charge de nous procurer. Cette sagesse si désirable a-t-elle donc quelque valeur en elle-même ? Nullement, sa valeur est encore toute relative, et elle perdrait bientôt son prix à nos yeux si, par une hypothèse inadmissible, elle cessait de nous conduire aux jouissances les plus pleines. Autant Socrate, Platon et Aristote abaissaient la sensibilité devant l’intelligence, autant Epicure abaisse l’intelligence devant la sensibilité ; il emprunte même à Platon plusieurs de ses comparaisons, en les retournant. « De même que nous n’approuvons pas la science des médecins pour elle-même, mais pour la santé ; de même que nous ne louons pas l’art de tenir le gouvernail pour lui-même, mais pour son utilité ; ainsi la sagesse, cet art de la vie, si elle ne servait à rien, ne serait point désirée ; si on la désire, c’est qu’elle est pour ainsi dire l’artisan du plaisir que nous recherchons et voulons nous procurer[2]. » En résumé, vertu, science, sagesse perdraient toute valeur, les unes comme les autres, si elles cessaient de procurer le plaisir. De là cette définition finale qu’Epicure donne de la philosophie : ce n’est pas une science pure et théorique, c’est une règle pratique d’action ; bien plus, elle est elle-même une action, « une énergie qui procure, par des discours et des raisonnements, la vie bienheureuse[3]. »

La pensée de l’artiste n’a pas plus de valeur intrinsèque que celle du philosophe : les arts doivent être embrassés pour le plaisir qu’ils procurent ; on fait des poèmes,

  1. Φιλοσοφίας τὸ τιμιώτερον ὑπάρχει ἡ φρόνησις, ἐξ ἧς αἱ λοιπαὶ πᾶσαι πεφύκασιν ἀρεταί. Diog. L., 132, 138, 140.
  2. « Sapientia non expeteretur, si nihil efficeret ; nunc expetitur, quod est tanquam artifex conquirendae et comparandae voluptatis. De fin., I, xiii. – Διὰ δὲ τὴν ἡδονὴν καὶ τὰς ἀρετὰς αἱρεῖσθαι, οὐ δι’ αὑτὰς, ὥσπερ την ἱατρικὴν διὰ τὴν ὑγίειαν. Diog. L., x, i38. Voir Plut., Adv. Col., 17, 3, et Alex. Aphr., De an., 156 b.
  3. Sext. Emp., Adv. Math., xi, 169. Τὴν φιλοσοφίαν ἐνέργειαν εἶναι λόγους καὶ διαλογισμοῖς τὸν εὐδαίμονα βίον περιποιοῦσαν.