Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/12

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N’avais-je pas là-bas une mère chérie, qui n’avait eu aucune nouvelle de son Christian, depuis plus de deux mois, et qui devait être bien effrayée au milieu de tant de troubles et de malheurs ! Et ma fiancée, ma petite Wilhelmine, la fille du bon père Frank, le meunier de Daspich, ne me croyait-elle pas mort, depuis qu’on ne parlait que de batailles, de défaites, de prisonniers, de blessés !

Tout cela m’attirait vers la Moselle, plutôt qu’ailleurs, parce que je pensais que si Metz était déjà fermé, j’irais à Thionville et, pour y arriver, il fallait passer à Daspich.

Mon voyage n’était pas long : quinze lieues, c’est-à-dire deux heures par le chemin de fer, en temps ordinaire.

Mais pour le moment, cette route prenait des proportions colossales. En effet, des personnes venues de la Moselle, et près desquelles je m’étais informé, me dirent que j’avais à traverser toute une armée prussienne de Nancy à Metz, et cela, à travers un pays dévasté et surveillé par l’ennemi défiant.

Je pensais bien, d’après ces renseignements, qu’il y avait peu de ressources à trouver dans le pays, puisqu’il avait déjà été mis en réquisition pour l’armée française et ravagé ensuite par l’ennemi, mais la vraie difficulté était d’entrer dans Metz, qui était déjà cerné par les Prussiens, comme je l’appris au moment de mon départ.

Cependant aucune considération ne put m’arrêter. Mes amis, à qui je confiai mon projet, jetèrent les hauts cris, et me prédirent les plus grands malheurs.

Sans m’effrayer, je courus au palais du gouvernement : j’avais appris qu’un officier supérieur allemand délivrait un sauf-conduit aux personnes qui désiraient voyager en Alsace-Lorraine.

Les Allemands n’auraient permis à aucun homme de sortir du cercle occupé par leurs armées, de