Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

peur qu’on n’allât rejoindre les troupes françaises.

Il ne fallait pas que les Prussiens pussent se douter que j’avais l’intention d’entrer à Metz. Aussi je résolus d’indiquer Daspich comme le but de mon voyage : cela pouvait me servir pour aller à Thionville, dans le cas où je serais obligé de tourner Metz.

Muni d’un certificat de la mairie, constatant mon identité, je me présentai chez l’officier prussien :

« Où voulez-vous aller ? me demanda-t-il.

— À Daspich, près de Thionville.

— Vous ne pouvez voyager qu’en pays déjà occupé. Voyons si cette localité l’est en ce moment. »

Il prend une carte :

« Entre Metz et Thionville, dit-il ; je vois. Oui, nos armées doivent y être. »

Et sur cette conviction, inspirée par un pur orgueil national, j’obtins mon sauf-conduit.

Je préparai aussitôt mon sac de voyage, que je songeai à alléger le plus possible. Mais il est toujours des choses absolument nécessaires et ce furent les seules que j’emportai, car je pouvais être obligé de marcher beaucoup.

Je fis alors mes adieux à quelques amis, qui eux-mêmes se proposaient de partir vers Toul ou vers Langres. Ils attendaient que le gros de l’invasion fût passé. Aussi combien essayèrent-ils de me détourner de mon voyage précipité.

Voyant leurs conseils inutiles, ils m’annoncèrent d’une voix lugubre qu’ils n’espéraient plus me revoir.


II

Le lendemain, je quittai Nancy, à six heures du matin, joyeux, leste et plein d’espoir, un sac de voyage sur l’épaule.