Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/28

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La boutique d’un luthier se trouvant sur mon passage, l’idée d’y entrer me vint.

« Connaissez-vous M. Bürger, ancien professeur de musique ?

— Le père Bürger… me dit un gros homme réjoui, parfaitement. Cependant voilà longtemps que je ne l’ai vu. Peut-être est-il parti, peut-être est-il malade. Il venait souvent ici acheter des cordes de violon, ou me chercher pour réparer son antique piano… C’est un brave et digne homme, mais les temps sont durs et l’on ne pense guère en ce moment à apprendre la musique. »

Le luthier causait avec volubilité, je l’interrompis :

« Pourriez-vous m’indiquer sa maison ? »

Le marchand appela sa femme en me faisant signe de le suivre :

« Venez, me dit-il ; c’est dans une rue assez éloignée et vous pourriez ne pas vous y reconnaître, dans tant de détours. Je vous conduirai volontiers : nous n’avons rien à vendre, rien à gagner ; on peut bien laisser sa boutique… Vous connaissez donc le père Bürger ?

— C’est un vieux condisciple de mon père. Ils avaient la même chambre, à Paris, au quartier Latin, quand M. Bürger commençait à se distinguer comme artiste, et que mon père étudiait la médecine.

— Ah ! il sera content de vous voir. »

Au détour d’une rue étroite et sombre, le luthier m’arrêta :

« Nous sommes arrivés, me dit-il, le père Bürger habite ici, au troisième… au revoir ! »

Je remerciai le marchand et pendant qu’il s’éloignait, je montai les marches branlantes d’un noir perron.

La maison était vieille et pauvre : un long et étroit corridor conduisait à un escalier de bois. Je montai trois étages et je frappai au hasard à une porte derrière laquelle j’entendais plusieurs voix d’enfants.