Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/79

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couvert de bosses et de plaies : je reconnus le malheureux sur qui la foule s’était acharnée sur la place. Il avait été délivré par la garde et venait demander les soins de Kuntz.

Lorsque le pharmacien eut visité ses blessures et lui eut procuré quelques soulagements, je lui demandai pourquoi il avait annoncé de pareilles nouvelles à une foule trop irritée par les souffrances du blocus.

« J’ai dit ce que j’ai vu, répondit-il ; je croyais rendre service et si j’avais su être si maltraité je me serais tu. »

Il nous raconta qu’il était allé à Metz, le 29 octobre, au matin, pour voir son fils, mais que celui-ci, qui était soldat dans la garde, était déjà parti comme prisonnier.

« Vous ne pourriez me croire, ajouta-t-il, si je vous disais tout ce que j’ai vu sur la route de Ladonchamps à Metz.

Les soldats français étaient emmenés par les Prussiens dans une grande prairie, où ils avaient dressé des tentes dans la boue, par une pluie battante.

Les uns attendaient là le signal du départ pour la Prusse ; d’autres sortaient seulement de Metz comme j’arrivais : les Prussiens les poussaient à coups de crosses de fusil, et s’ils tombaient dans les fossés, on les laissait là, enfoncés dans la boue !

Jamais ce spectacle ne sortira de ma mémoire et bientôt on saura ici que j’ai dit vrai. »

Le lendemain, la nouvelle de la capitulation de Metz fut confirmée : on apprenait avec stupeur que Bazaine avait capitulé avec 173 000 hommes.

Ah ! comme nous étions trompés !


XVII

Depuis la reddition de Metz, le blocus était devenu bien plus rude et les Prussiens avaient resserré le cercle d’investissement.