Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/158

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survenus dans ses manières et dans son existence. Ils se disent :

— Que diable a donc un tel ?... L’autre jour je l’ai trouvé, marchant la tête basse, comme s’il avait commis un crime, et il ne m’a même pas répondu quand je lui ai dit bonjour.

— Ah ! tu ne sais pas ? répond l’autre, il est inventeur !... Il ne me l’a pas dit... mais je l’ai compris... il faudra l’envoyer à Charenton.

Et les deux amis rient d’un air de pitié dédaigneuse, en haussant les épaules, du pauvre diable qui s’en va la tête basse et ne rend pas les saluts, parce qu’il ne voit, n’entend, ne comprend qu’une chose : l’idée qui est devant lui.

Ou bien ils font une plaisanterie dans le genre de celle que l’on faisait à la cour sur le marquis de Jouffroy.

— « Connaissez-vous, disait-on, ce gentilhomme de la Franche-Comté qui embarque des pompes à feu sur les rivières et qui prétend faire accorder l’eau avec le feu.

— C’est un idéologue, disait Bonaparte ; et quand il avait dit ce mot, il avait condamné un homme.

Aux yeux des trois quarts des gens, l’inventeur aussi n’est qu’un idéologue, un homme à idée, c’est-à-dire un fou.

Dans les difficiles et longs procès qu’eut à soutenir James Watt, les avocats de ses adversaires lui reprochaient aussi de n’avoir inventé que des idées.

— Allez, leur dit M. Rooss, allez vous frotter à ces combinaisons intangibles, ainsi qu’il vous plait d’appeler les machines de Watt, et ces prétendues idées abstraites vous écraseront comme des moucherons, vous lanceront dans les airs, à perte de vue. »

Que de gens on trouve qui ne comprennent pas la valeur d’une idée !

Pour eux, et par cela même qu’ils n’ont pas d’idées, ils trouvent que ce sont choses toutes naturelles, qui viennent simplement dans la tête, qu’on acquiert sans travail.

Ils admireront bien, ces gens, un hercule qui enlèvera un