Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Quel désespoir doit-il ressentir en voyant souvent triompher le faux sur le vrai ! Quels sentiments durent remuer le cœur de Jouffroy quand, jeune et inconnu, il présente concurremment avec Perrier, appuyé par Ducrest, gentilhomme très répandu à la cour de Louis XVI et dont le nom fait autorité, un projet de machine à vapeur appliquée à un bateau ; et quand il voit, lui qui est seul dans le vrai sous le rapport du mécanisme et du calcul de la force à employer, adopter le projet de Perrier, et quand à la suite de l’échec qui résulte de cet essai, la compagnie aux frais de laquelle il s’était fait, se dissout, refusant de recommencer une nouvelle expérience et le condamnant ainsi à agir seul, livré à ses propres forces !

Ce doit être un désespoir dans le genre de celui qu’éprouverait Brunelleschi si, sortant de sa tombe, il voyait la manière dont ses continuateurs ont achevé son dôme à Florence ; ce doit être une rage impuissante telle que l’a représentée le Puget, ce grand artiste, aussi lui dédaigné et incompris, dans son Milon de Crotone qui plein de force et de vie ne peut cependant ouvrir l’arbre qui s’est refermé sur ses doigts et se voit dévoré vivant par les loups.

Les loups pour l’inventeur ce sont les routiniers de toutes sortes : Roger Bacon va en prison, Galilée est soumis aux tortures de l’inquisition, et son fils poussé par la superstition brûle ses papiers ; Colomb est chargé de fers, Bernard de Palissy est une des victimes de la Saint-Barthélémy , Sauvage est emprisonné pour dettes, Jouffroy meurt aux Invalides, Lebon est assassiné.

Quel effrayant martyrologe, et que M. Laboulaye fait bien de s’écrier : « L’histoire de l’humanité, c’est l’histoire des martyrs ! » Ils sont tous chassés, poursuivis, traqués comme des bêtes fauves, jetés dans des fosses comme des animaux dangereux, abattus comme des chiens enragés , tous ceux qui apportent une nouvelle foi au monde. Ici ce sont des