Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/286

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pourrez ; nous autres nous sommes cuirassés ; faites-nous un rempart de votre corps, et quand vous aurez comblé le fossé avec vos cadavres, nous passerons sur eux ; quand vous aurez été étreints par ce [terrible combattant que l’on appelle la nature, et que vous aurez été brisés dans cette étreinte, vos corps nous serviront de piédestal pour arriver jusqu’aux lauriers qui nous décoreront ; les honneurs et la gloire seront pour nous ; combattants de la première heure, allez pleins de confiance, nous, nous sommes les moissonneurs du champ que vous aurez engraissé avec votre sang. Honte à ceux-là qui devraient être chefs et qui au lieu de marcher en tête se couvrent, comme le duc d’Aiguillon pendant la bataille de Saint-Cast, « de farine et de gloire (I).»

Mais qu’importe aux savants ! Comme Louis XIV, leur grandeur les retient au rivage , leur dignité les empêche de s’engager dans la mêlée ; le soin de leur immortalité leur fait craindre les horions. Oh ! que la science pure vaut mieux ! elle ne ruine pas, elle ne blesse pas, elle ne tue pas ! Elle est toujours digne et solennelle et n’expose pas aux railleries du vulgaire ! Seulement elle ne sert à rien, c’est une arme dont la poignée est parfaitement ciselée, mais dont la lame est de plomb et non d’acier. Or, nous préférons maintenant à ces joujoux les choses réelles ; nous nous moquons des fantaisies pour n’estimer que les vérités ; un bûcheur d’idées comme Proudhon vaut mieux à nos yeux qu’un ciseleur de phrases comme Théophile Gautier.

Cela n’empêche pas que l’homme qui réunit les deux qualités ne soit un très-grand homme, mais il ne faut pas que l’homme qui se contente de tailler des phrases et de faire briller des mots se croie supérieur au premier et le méprise ; s’imagine qu’il peut parfaitement se passer de ces qualités et qu’il n’a pas besoin de penser pour écrire. Malheu-

(1) Paroles de La Chalotais.