Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/57

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Tout le monde sait qu’il y a deux mémoires : la mémoire des mots, et la mémoire des faits et des idées. Les deux mémoires s’excluent réciproquement. Laquelle faut-il développer ? Est-il nécessaire de répondre à cette question ? La mémoire des mots n’est-elle pas une chose toute secondaire, qui ne peut servir à l’homme, qui ne le forme pas?

La mémoire des faits et des idées, au contraire, n’est-elle pas une des bases les plus solides sur lesquelles puisse s’asseoir la raison ? N’est-elle pas l’élément le plus indispensable du jugement humain ? Juger, en effet, c’est comparer ; et pour comparer, il faut savoir.

Par conséquent c’est donc celle-là qu’il faut s’attacher à développer, nourrir, remplir de manière que les jeunes gens deviennent des hommes.

Et c’est celle-là précisément que l’Université ne connaît pas. Elle a une sorte de haine contre elle. On dirait qu’elle voudrait l’étouffer.

Et cela se comprend.

« Napoléon, a dit Edouard Laboulaye, fait de l’Université une sorte de couvent laïque et lui donne à administrer l’âme de ses sujets. »

Aussi regarde-t-elle la raison comme son ennemie, et s’acharne-t-elle à en détruire tous les germes dans l’esprit des jeunes gens qui lui sont confiés. Au lieu de développer les facultés qui se montrent chez eux, elle les combat ; au lieu d’essayer de rendre plus puissantes les forces naturelles dont la nature a doué chacun d’eux, elle les annihile.

Elle cultive l’esprit humain : soit ; mais aveuglément. Elle veut exiger des sols les plus différents les mêmes produits ; et pour cela elle ordonne le même engrais et le même labour, et elle croit avoir bien rempli sa tâche ; et elle regarde comme mauvais le terrain qui ne rapporte pas des récoltes qui sont contraires à sa nature.

Si un agriculteur en faisait autant, on lui rirait au nez ;