Page:Guyot - Les principes de 89 et le socialisme.djvu/270

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nourrir, me vêtir, me loger, me chauffer, m’éclairer et faire mon bonheur sans que je m’en occupe. C’est son devoir. L’as-tu dit, Millerand ? J’ai là ton discours d’Abbeville du 15 décembre 1893. Donne-moi un cigare et une absinthe.

Millerand. — Si tu ne travailles pas, tu n’auras rien.

Le compagnon. — Mais malheur ! alors c’est donc comme sous le régime de l’infâme capital. La Société manque à son devoir. Tu as donc blagué, Millerand ! Tu es un renégat. Donne-moi un cigare.

Millerand. — Non, prends ta pioche.

Le compagnon. — Ta pioche ? ta pioche ? je n’en veux pas, je veux « me la couler douce ». Tu ne veux pas me donner un cigare ? je vais aller le prendre.

Millerand. — Je te le défends. Il faut que tu le gagnes.

Le compagnon. — Que je le gagne, moi ? Mais tu es donc un bourgeois ? tu parles comme un économiste. Si je me suis mis socialiste, c’est pour que la Société s’occupe de moi. À chacun selon ses besoins ! voilà. Je vais prendre mon cigare et un bon.

Millerand. — Je te le défends.

Le compagnon. — Et si je ne t’écoute pas ?

Millerand. — Je te mets en prison.

Le compagnon. — En prison ? mais alors qu’est-ce que j’ai gagné à être socialiste, à faire la sociale, à voter pour les socialistes ? C’est pire qu’autrefois, car on ne s’était pas avisé de me donner une pioche : j’étais bijoutier.

Millerand. — Mais il n’y a plus place, dans la Société socialiste, pour les métiers destinés à alimenter le luxe éhonté des infâmes capitalistes.