Page:Gyp - Bijou, Calmann-Levy, 1896.djvu/119

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— Je vais m’accompagner à la guitare… j’aime mieux ça, c’est plus bon enfant…

Puis, se tournant vers M. de Clagny :

— Qu’est ce que vous voulez que je vous chante ? aimez-vous les vieilles chansons ?…

Et tout de suite elle commença la chanson du Petit Soldat :

Je me suis engagé
Pour l’amour d’une blonde…

Elle avait une jolie voix juste, dont elle se servait adroitement. Et elle chanta avec une plaintive douceur le récit touchant du petit soldat qui « veut qu’on mette son cœur dans une serviette blanche… »

Le salon s’était rempli dès que Bijou avait commencé à chanter. Et les physionomies étaient vraiment amusantes à voir. Jean écoutait, nerveux, tirant sa moustache blonde qui criait entre ses doigts. M. de Rueille, énervé par cet air dolent, agacé de voir tous ces gens qui admiraient Denyse, faisait les cent pas à l’autre bout du salon, affectant de ne pas entendre.

Pierrot, la bouche ouverte, regardait de toutes ses forces. Le petit La Balue, accoudé à une console, dans une pose contractée et ridicule, fixait sur la jeune fille ses yeux ternes, qu’il s’efforçait de rendre magnétiques, avec une insistance tellement effrontée que Henry de Bracieux se sentait une étonnante envie de l’aller gifler. Et l’abbé Courteil lui-même, empoigné, ému, écarquillait les yeux et respirait bruyamment. Seul, Hubert de Bernès écoutait avec une attention polie, mais relativement indifférente.