Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/199

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Maria resta muette, et pourtant chacune des phrases de Lorenzo Surprenant était venue battre son cœur comme une lame s’abat sur la grève. Ce n’étaient point les protestations d’amour qui la touchaient, encore qu’elles fussent sincères et honnêtes, mais les descriptions par lesquelles il cherchait à la tenter. Il n’avait parlé que de plaisirs vulgaires, de mesquins avantages de confortable ou de vanité ; mais considérez que ces choses étaient les seules qu’elle pût comprendre avec exactitude, et que tout le reste — la magie mystérieuse des cités ; l’attirance d’une vie différente, inconnue, au centre même du monde humain et non plus sur son extrême lisière — n’avait que plus de force de rester ainsi impalpable et vague, pareil à une grande clarté lointaine.

Tout ce qu’il y a de merveilleux, d’enivrant, dans le spectacle et le contact des multitudes ; toute la richesse fourmillante de sensations et d’idées qui est l’apanage pour lequel le citadin a troqué l’orgueil âpre de la terre, Maria pressentait tout cela confusément, comme une vie nouvelle dans un monde nouveau, une glorieuse métempsycose dont elle avait la nostalgie d’avance. Mais surtout elle avait un grand désir de s’en aller.

Le vent soufflait de l’est et chassait devant lui une armée de nuages tristes chargés de neige. Ils défilaient comme une menace au-