Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/200

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dessus du sol blanc et des bois sombres ; le sol semblait attendre une autre couche à son linceul, et les sapins, les épinettes, les cyprès, serrés les uns contre les autres, n’oscillaient pas, figés dans cet aspect de grande résignation qu’ont les arbres aux troncs droits. Les souches émergeaient de la neige comme des épaves. Rien dans le paysage ne parlait d’un printemps possible ni d’une saison future de chaleur et de fécondité ; c’était plutôt un pan de quelque planète déshéritée où ne régnait jamais que la froide mort.

Ce froid, cette neige, cette campagne endormie, l’austérité des arbres sombres, Maria Chapdelaine avait connu cela toute sa vie ; et maintenant pour la première fois elle y songeait avec haine et avec crainte. Quels paradis ce devaient être ces contrées du sud où l’hiver était fini en mars et où dès avril les feuilles se montraient ? Au plus fort de l’hiver l’on pouvait marcher sur les chemins sans raquettes, sans fourrures, loin des bois sauvages. Et dans les villes, les rues…

Des questions tremblèrent sur ses lèvres. Elle eût voulu savoir s’il y avait de hautes maisons et des magasins des deux côtés de ces rues, sans interruption, comme on le lui avait dit, si les chars électriques marchaient toute l’année ; si la vie était bien chère… Et des réponses à toutes ces questions n’eussent satis-