Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/53

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mais Télesphore m’a donné du tourment. Ce n’est pas qu’il fasse du mal ; mais les choses qu’il dit ! On dirait que cet enfant-là n’a pas tout son génie.

Télesphore s’affairait avec l’attelage du chien et prétendait ne pas entendre.

Les errements du jeune Télesphore constituaient le seul drame domestique que connût la maison. Pour s’expliquer à elle-même et pour lui faire comprendre à lui ses péchés perpétuels, la mère Chapdelaine s’était façonné une sorte de polythéisme compliqué, tout un monde surnaturel où des génies néfastes ou bienveillants le poussaient tour à tour à la faute et au repentir. L’enfant avait fini par ne se considérer lui-même que comme un simple champ-clos, où des démons assurément malins et des anges bons mais un peu simples se livraient sans fin un combat inégal.

Devant le pot de confitures vide il murmurait d’un air sombre :

— C’est le démon de la gourmandise qui m’a tenté.

Rentrant d’une escapade avec des vêtements déchirés et salis, il expliquait, sans attendre des reproches :

— Le démon de la désobéissance m’a fait faire ça. C’est lui, certain !

Et presque aussitôt il affirmait son indignation et ses bonnes intentions.