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naie. S’il vous dérobe votre montre ou votre mouchoir, c’est un coquin digne de la prison ; mais s’il vous dérobe votre joie, en séduisant votre fille, s’il la jette dans une voie de désordres et de honte, et vous expose à mourir de douleur, c’est un charmant garçon. Est-ce que vous vous seriez mis dans l’esprit que la moralité, l’honneur et l’avenir de votre fille eussent autant de valeur que votre montre ou votre mouchoir ?

Dans une faute contre ce qu’on nomme la chasteté, l’unité de morale et la logique exigent qu’il y ait deux coupables, et l’équité prononce que le provocateur est plus coupable que le provoqué. Notre société modèle prétend qu’il n’y a qu’un coupable, le faible, le crédule, le provoqué ; l’autre est un délicieux conquérant auquel sourient toutes les mères.

Ceci bien entendu, le Code déclare qu’une fille de quinze ans est seule responsable de ce qu’on nomme son honneur.

Il ne punit point le séducteur ; donc il ne le reconnaît point coupable.

Si l’on enlève une mineure, si on la viole, si on la corrompt pour le compte d’autrui, on est puni, à la vérité, mais d’une manière fort insuffisante.

Une pauvre enfant de seize ou dix-sept ans est-elle devenue enceinte, le séducteur, presque toujours, l’abandonne. Que reste-t-il à l’imprudente ? une vie brisée, un veuvage éternel, un enfant à élever. Si, pour apaiser son père furieux, elle lui montre des lettres qui prouvent la paternité du misérable, l’engagement qu’il a pris de reconnaître l’enfant et de pourvoir en partie à ses besoins, une promesse de mariage peut-être, le père répète ces dures paroles de la loi ;