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Page:Hériot - Une âme à la mer, 1929.pdf/167

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le bateau de mon enfance

Non, je ne suis plus d’ici avec mon âme d’appareillage.

Ma vie je l’ai donnée pour l’idéal de naviguer sous mes trois couleurs !

Jamais je n’ai ressenti pareillement cette solitude, cette angoisse d’être une âme solitaire parmi les autres.

Oui, je suis plus isolée, ce soir, que jamais, car le bateau de mon enfance ne doit plus être dans le port.

La nuit est embuée, le vent souffle, je regagne mon cher voilier mouillé en rade, qui roule bord sur bord.

Ceux qui me regardent passer, une ombre parmi les ombres, ne savent pas, et ne comprendraient pas, que celle qui passe sous un vêtement de marin souffre tant, ce soir, d’avoir perdu la présence du bateau de son enfance.

Ce soir en rade, abolissant les propres bruits de mon voilier, je rêve, j’entends et je vois la brise qui joue dans les haubans, la machine sourde et battante, le compas éclairé, là-haut, sur la passerelle, et le profil du Capitaine faisant le quart sur le bateau de mon enfance qui s’éloigne de moi.

Il est parti joyeux,

Je demeure solitaire.