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une âme à la mer

Le ripolin de ta coque fut choisi par moi, comme ta ligne de flottaison, la forme des lettres de ton nom, l’or adouci de ta proue et de ta poupe, où mes initiales en algues comme un enlacement, te disent mon attachement.

Les coursives, la passerelle, la cheminée, pas le moindre détail de peinture, de vernis ou de cuivre qui ne fut exécuté par mes braves Bretons, guidés par moi, depuis trois années.

Lorsque tout ce grand travail fut accompli, je suis obligée de me séparer de toi !

Oh ! mon cher navire, tu avais une âme ! tous ceux qui t’ont vu l’ont sentie !

Une grande âme de douceur.

Sur la passerelle c’était l’action, l’énergie, la qualité de mer, le devoir aussi.

Dans le salon bleu, près de la chambre de veille, la vie de mer continuait, adoucie et rêveuse, c’était un peu un salon de corsaire :

Boussoles, mappemondes, sabres d’abordage, pistolets, livres de pirates ; c’était tout un rêve d’arrimages.

La bibliothèque, lourde de livres, où à travers les fenêtres, le monde passait !

Nuits d’étoiles, nuits de tempêtes et de rumeurs aussi, les jours calmes perdus d’immensité, les pays avec leurs montagnes glissaient.

J’ai vu le monde à travers les fenêtres !