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causa, éd. Lagarde, p. 268) à la difficulté de savoir comment la divinité peut être à la fois et possibilité et réalité, si elle est unité absolue. Il s’efforce, ainsi que de Cusa, d’animer la notion de divinité en lui attribuant la possibilité et non pas seulement la réalité achevée une fois pour toutes. Mais en déclarant après les mystiques que la possibilité et la réalité devraient être une seule et même chose il retire cette définition. Par là perce en même temps dans son système le dualisme ; car dans le monde fini la possibilité et la réalité sont séparées ; il persiste donc une violente antinomie entre ce monde fini et la substance éternelle, où l’antinomie entre la possibilité et la réalité n’existe pas. Si la substance éternelle, qui embrasse dans son unité (complicamente et totalmente) tout le fond de l’existence, est parfaite, quel sens donner alors au processus d’évolution qui progresse à travers l’ondoiement des contrastes et le passage continuel de possibilité à réalité ? Le développement fini n’est compatible avec l’idée de Dieu que si l’on reconnaît une imperfection ou un inachèvement original (consistant en ce que le contenu existait seulement à l’état de complication et non d’explication), ou encore — avec Jacob Böhme — si l’on reconnaît une chute de la divinité. Böhme a le mérite de l’avoir vu clairement. Bruno oscille, sans s’en rendre bien compte lui-même, entre l’intuition mystique de l’unité et l’abandon enthousiaste à la multiplicité. Ce qui préoccupe cependant le plus sa pensée, c’est la recherche de l’unité éternelle sous le développement ininterrompu et à travers toutes les oppositions. Il renvoie à une série de vérifications empiriques (verificationi) de sa doctrine. La conversion continuelle de la matière en formes nouvelles est une expression de l’unité infinie qui ne peut se réaliser complètement par aucune forme individuelle. Ce n’est qu’au moyen d’un principe interne commun que des contraires tels que minimum et maximum, bonheur vertigineux et ruine soudaine, naissance et mort, amour et haine trouvent une transition. Grâce à des transitions continuelles, le degré de chaleur extrême est relié au degré de froid extrême, ce qui indique qu’au fond il y a un principe unique (observation dirigée par Bruno contre Telesio). Qui veut comprendre les plus grands mystères de la nature doit d’une