Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/156

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y a une résistance à vaincre ; sinon l’hébétement animal sera vertu. La chasteté n’est pas une vertu chez une nature froide et apathique ; voilà pourquoi elle n’est guère une vertu dans le nord de l’Europe, mais bien en France, encore plus en Italie, et surtout en Libye. — Le résultat sera de ne reconnaître le loisir qu’à titre de contre-partie nécessaire du travail (ocio-negocio). Travail et repos devraient former un rythme naturel. « À un esprit bien né le loisir sera le plus grand des tourments, s’il ne lui paraît alterner avec l’activité soutenue. —

Dans l’ouvrage des folies héroïques, Bruno insiste encore sur ce point, que la vie du sentiment est de nature complexe en ceux qui ne sont pas bornés à la façon de l’animal : l’existence est faite de grands contrastes ; c’est là ce qui sert à mesurer le développement du sentiment. Le sot se complaît dans l’état présent, sans penser à ce qui précède ni à ce qui suit, ni à la situation contraire, pourtant si proche, ni à l’élément absent, qui est pourtant toujours possible. Voilà pourquoi sa joie peut être sans souci, sans peur et sans repentir. L’ignorance est la mère de la félicité sensuelle et du paradis animal. Quiconque augmente son savoir, accroît sa douleur. À mesure que le savoir grandit on voit une quantité plus considérable de possibilités, on se fixe un but plus élevé — qui devient alors d’autant plus difficile à atteindre. La folie héroïque se produit quand on ne se relâche pas de la poursuite d’un but élevé, car cette poursuite comporte de la douleur et du danger. Le papillon qui est attiré par la lumière ne sait pas que c’est sa mort ; l’homme héroïque le sait, mais cela ne l’empêche pas de rechercher la lumière, car il sait que la douleur et le danger ne sont des maux que pour l’observation bornée et sensible, mais non au point de vue de l’éternité (ne l’occhio de l’eternitade). Il est même nécessaire que toute aspiration supérieure soit accompagnée de déplaisir, car le but s’élève à mesure que l’on avance. On monte insouciant dans le canot pour commencer le voyage — et bientôt on se trouve au loin sur la mer infinie, qui confond l’esprit et la pensée. Plus on atteint, et plus on voit distinctement que la satisfaction absolue est impossible. On découvre que l’objet de l’impulsion est infini et ainsi naissent conflits et troubles dans la nature finie. Mais alors on éprouve