Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/157

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de la satisfaction à sentir un si noble feu allumé, même s’il cause de la douleur. C’est une forme supérieure de la conservation personnelle qui pousse à continuer la course à l’idéal malgré la disparition de l’harmonie. Ce qui enchaîne la volonté (vinculum voluntatis), c’est à tous les degrés un amour, mais cet amour peut se porter sur un objet qui dépasse de beaucoup l’existence finie de l’individu.

— Tout cet ordre d’idées est intéressant, non seulement pour les réponses aux objections qui ont été élevées jusque dans ces derniers temps contre l’éthique qui prend pour fin le bonheur ou la prospérité, mais encore à cause du contraste qu’offre ici Bruno avec la conception de l’antiquité et aussi du Moyen Âge. S’ébattre dans le conflit des contraires et naviguer sur l’océan des aspirations infinies, voilà pour Bruno l’idéal. C’est la source d’une richesse et d’une plénitude de vie intérieure qu’aucun état possible de repos sans exception ne saurait à son sens produire. Tout en rappelant Platon et Plotin, auxquels il renvoie lui-même, l’ouvrage des folies héroïques imprime précisément à Bruno le cachet du penseur moderne. Il est ici le devancier de Lessing et de Kant dans l’idée que l’aspiration éternelle est le souverain bien ; de même sa position vis-à-vis de l’idée de l’âge d’or fait penser à la conception de l’histoire de la civilisation de ces derniers temps. Dans ses idées éthiques, comme dans sa conception du monde, il travaille avec un large horizon — tout en se représentant que cet horizon est susceptible d’un élargissement indéfini.

14. — Tommaso Campanella

Comme Bruno, Campanella était un moine qui prit contact avec les pensées nouvelles du siècle et qui leur présenta une âme faite pour les comprendre. Mais il appartient déjà à la réaction. Il s’accorde à dire avec les philosophes de la Renaissance qu’une science nouvelle et une philosophie nouvelle viendront, maintenant que le livre de la nature est ouvert comme il ne l’a jamais été. Mais sa prétention a une autre raison, c’est que la philosophie antique est païenne. Il est impossible à son avis de concilier la philosophie d’Aristote avec la